Traitement et réutilisation des eaux usées : des objectifs plus ambitieux en la matière
En raison de l’essor démographique mondial et de l’intensification des usages (agricoles, industriels, domestiques et urbains), les réserves d’eau douce sont de plus en plus sollicitées, diminuant en quantité et en qualité dans de nombreuses régions du monde. Cette augmentation des consommations s’inscrit dans un contexte de changement climatique qui bouleverse les cycles habituels de l’eau, aggravant les pénuries ou les inondations selon les lieux et les moments. S’adapter à ces transformations majeures implique une gestion plus durable de l’eau et des changements de paradigmes.
La réutilisation des eaux usées traitées (REUT), comme source alternative d’eau propre, fait partie des possibilités mises en avant pour soulager les tensions. Jérôme Constans, l’un des experts Artelia en traitement des eaux, dresse un état des lieux des projets et pratiques en matière de REUT.
En quoi consiste la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) ?
Il s’agit d’exploiter les eaux usées (industrielle, urbaine, domestique et issue du ruissellement) après leur traitement en station d’épuration. La REUT, aussi dénommée « reuse » pour Wastewater reuse, vise à réutiliser, après traitement approprié, les eaux usées pour certains usages (irrigation de cultures, arrosage d’espaces verts, refroidissement industriel, recharge de nappes, eau potable…), plutôt que de les restituer immédiatement au milieu naturel.
Parallèlement, le processus d’épuration génère des boues qui peuvent être valorisées énergétiquement (production de biogaz par méthanisation) ou en tant que gisement de matières premières (extraction de l’azote, du phosphore ou du potassium qu’elles contiennent). C’est une pratique actuellement encouragée en Europe par la nouvelle directive sur les eaux urbaines résiduaires (DERU).
La REUT est-elle une pratique répandue ?
C’est variable selon les endroits et l’exposition au stress hydrique, mais dans l’ensemble cette pratique est encore assez limitée. Dans leur dernier rapport Wastewater : turning problem to solution (2023), les experts du programme des Nations Unies pour l’environnement estimaient que seuls 11 % des eaux usées traitées dans le monde étaient réutilisés, sachant que le traitement de l’eau lui-même est encore loin d’être une pratique systématique (environ la moitié des eaux usées urbaines et domestiques sont toujours déversées non traitées dans les rivières, les lacs et les mers).
Certains territoires, comme Singapour, qui disposent de faibles ressources au regard de leur population, ont déjà beaucoup développé la REUT. D’autres, comme la France, qui n’avait jusque-là pas vraiment de problèmes d’eau, ont assez peu mobilisé ces « eaux non conventionnelles » (seul 0,5 % des eaux usées étaient réexploitées dans les années 2015-2017*). Toutefois, les approches sont en train de changer, la France vise ainsi le développement d’un millier de projets pour atteindre 10 % de REUT d’ici 2027.
* Étude du Cerema, publiée en 2020, sur la base des données collectées entre 2015 et 2017.
Quelles sont les orientations actuelles en matière de traitement et réutilisation d’eaux usées ?
Dans le contexte général de stress hydrique lié au changement climatique, ces sujets gagnent en importance. À l’échelle mondiale, les Nations Unies en font la promotion, notamment dans les pays où les infrastructures de traitement sont les moins développées et les risques de manque d’eau élevés.
En Europe, la DERU fixe des objectifs plus élevés à l’horizon 2045. L’Union européenne demande aux pays membres d’être plus ambitieux en matière de décarbonation et vise l’autonomie énergétique de la filière du traitement de l’eau. La directive renforce également les objectifs de traitement de l’azote et du phosphore, et des différents polluants que l’on trouve dans les eaux usées (micropolluants, PFAS, pesticides, fongicides, substances médicamenteuses…). Ces sujets ne sont pas forcément nouveaux, mais aujourd’hui, il faut les traiter tous en même temps ce qui nécessite un effort important et des installations plus performantes. C’est une nouvelle étape à franchir dans le traitement des eaux usées.
La valorisation énergétique est-elle exclusivement liée à la méthanisation des boues ?
Produire du biogaz à partir de la matière organique contenue dans les boues (méthanisation) est effectivement la manière la plus efficace d’assurer l’autonomie énergétique des sites de traitement. L’objectif actuel est de tirer vers le haut ce qui se pratique déjà, de maximiser la production de biométhane tant pour l’autoconsommation des stations d’épuration que pour alimenter le réseau de gaz avec les excédents de production. Artelia a par exemple accompagné le SIAAP, le grand syndicat d’assainissement de la région parisienne, qui souhaitait valoriser à 100 % le biogaz produit sur son site de Valenton en biométhane. C’est l’une des plus importantes installations de méthanisation de boues d’épuration en France.
D’autres productions énergétiques peuvent être envisagées, selon les situations. Par exemple, en turbinant l’eau si la pression est suffisante ou en captant la chaleur des eaux usées ou encore en installant une centrale photovoltaïque sur le site. Certaines expérimentations sont aussi conduites (carbonisation hydrothermale des boues) pour obtenir du biochar (susceptible d’être utilisé en agriculture comme amendement du sol) et du syngas, en valorisant le bioCO2 résiduel issu de l’épuration du biogaz avec de l’hydrogène.
En matière de réutilisation d’eaux traitées, quels sont aujourd’hui les principaux usages et développements envisagés ?
L’agriculture comptant parmi les plus gros consommateurs d’eau, l’irrigation est naturellement l’une des applications les plus répandues. Artelia est ainsi intervenu sur différentes études de REUT à des fins agricoles, notamment dans des territoires où les ressources en eau sont sous tension (Égypte, Palestine…). Nous avons aussi participé, sur l’île de La Réunion, à l’opération Meren (mobilisation des ressources en eau des micro-régions Est et Nord), dont l’un des volets concernait la valorisation agricole des eaux traitées de la station d’épuration du grand Prado.
Utiliser ces eaux pour arroser des espaces verts, nettoyer des voiries ou encore lutter contre les incendies sont d’autres applications mises en œuvre ou envisagées. En France, nous avons piloté le projet initié par Orléans Métropole qui consistait à utiliser l’eau de la station d’épuration d’Orléans la Source pour arroser un parc floral très fréquenté. Nous avons mis en place une filière de REUT complète (traitement, stockage, transport), en gérant toute la dimension règlementaire associée (enjeux environnementaux et sanitaires). Cette installation permet aujourd’hui au parc de ne plus prélever de l’eau dans la rivière Loiret, ce qui devenait très difficile l’été en raison des sécheresses.
Dans certaines régions, les eaux retraitées sont aussi utilisées pour réalimenter des nappes phréatiques ou directement produire de l’eau potable, ce qui nécessite des traitements poussés et coûteux. Les réticences vis-à-vis de ces pratiques sont encore fortes, mais l’accroissement attendu du stress hydrique, en raison du changement climatique, va probablement nous conduire à intensifier cet usage dans les années à venir.
Quelles sont les pratiques en matière de REUT dans l’industrie ?
La réutilisation se développe également, car l’industrie consomme beaucoup d’eau. Aujourd’hui, dans les pays développés, un établissement industriel ne peut plus s’implanter sans prendre en compte cette dimension, considérer qu’il suffira de créer un forage pour avoir toujours de l’eau en suffisance. Les procédés de fabrication de pointe intègrent d’ailleurs cette notion de réutilisation de l’eau. L’Union européenne met aussi en avant une « responsabilité élargie des producteurs ».
Artelia accompagne donc de nombreux industriels sur des sujets d’alimentation en eau, de retraitement et de réutilisation. Nous sommes intervenus pour des entreprises de cosmétique, de pharmacie, de pétrochimie, de sidérurgie… Nous avons ainsi aidé l’usine Soproreal (L’Oréal) dans sa réflexion sur l’eau. Très récemment pour EDF, dans le cadre de la construction des réacteurs nucléaires EPR2 de Penly, nous avons aussi étudié ces questions de traitement et réutilisation d’eau, d’abord pour la base vie du chantier, qui accueillera plus de 9 000 personnes au plus fort de la construction, puis pour le site en phase de fonctionnement.
Comment voyez-vous l’avenir en matière de REUT ?
Il s’agit d’un levier qui va certainement être de plus en plus mobilisé dans un contexte de dégradation de la qualité et de la quantité des ressources en eau potable. La réutilisation des eaux usées s’inscrit toutefois dans une dynamique globale de gestion durable de l’eau qui comprend de nombreux volets (gestion des eaux pluviales au plus près du point de chute, préservation de la ressource et des écosystèmes, recours à des solutions fondées sur la nature…). L’une des forces d’Artelia est sa grande multidisciplinarité. Cela nous permet de mobiliser les techniques de REUT tout en ayant cette appréhension globale du cycle de l’eau.
Rédigé par Eric Robert, publié le 07 juin 2024.
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