Évaluer l’impact des matériaux de réemploi sur la qualité de l’air intérieur

La volonté de réduire l’empreinte carbone des bâtiments et les tensions croissantes sur les matériaux de construction poussent les autorités de certains pays à encourager le développement du réemploi. Cette pratique pose toutefois de nombreuses questions, tant en matière d’organisation et d’économie de la construction, que vis-à-vis de la qualité structurelle et sanitaire de ces matériaux. 

Aurore Pfister, ingénieure de l’une des équipes de Conception Environnement d’Artelia, nous présente le travail de recherche en cours qui vise à caractériser l’impact des matériaux de réemploi sur la qualité de l’air intérieur des bâtiments.

Pourquoi croiser ces deux notions de « réemploi de matériaux » et de « qualité de l’air intérieur » ?

D’une part, la filière du réemploi commence à s’organiser, mais elle se pose encore beaucoup de questions. Les dernières règlementations françaises (RE 2020 notamment) fixent ainsi des objectifs très ambitieux de décarbonation de la construction. Pour les atteindre, nous avons besoin du réemploi, car l’empreinte carbone des matériaux réutilisés est presque nulle par rapport aux matériaux neufs qui génèrent beaucoup de CO2 (extraction, transformation, transport, vie et fin de vie).

D’un autre côté, l’utilisation des matériaux de réemploi est en contradiction avec d’autres exigences. Par exemple, pour obtenir un bâtiment à haut niveau de certification environnementale (BREEAM, WELL, LEED, BBCA…), il faut pouvoir justifier que les matériaux utilisés n’émettent pas ou peu de polluants dans l’air. Un étiquetage existe pour les matériaux neufs, mais pas pour les matériaux de réemploi qui sont par conséquent trop souvent écartés.

C’est ce verrou – engendré par deux exigences incompatibles – que nous avons entrepris de faire sauter en étudiant la nature et la quantité de polluants émis dans l’air par les matériaux de réemploi.

C’est une recherche que vous menez avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et l’Université de La Rochelle. Comment s’est formé ce partenariat ?

Artelia et le CSTB collaborent depuis de nombreuses années. Cette collaboration a été concrétisée en 2019 par la signature d’un partenariat de recherche, le premier contrat d’application portant sur la qualité de l’air intérieur. Par ailleurs, les équipes « économie circulaire » du CSTB et d’Artelia mènent différents travaux de recherche communs, comme le programme Élaboration de critères et indicateurs pour le développement de bases scientifiques à la caractérisation de l’économie circulaire dans le secteur du bâtiment. Le CSTB développe également des outils de simulation sur le sujet de la qualité de l’air intérieur.

Constatant ce verrou entre matériaux de réemploi et qualité de l’air intérieur, nous avons décidé de lancer un travail de thèse sur le sujet, en partenariat avec le Laboratoire des sciences de l’ingénieur pour l’environnement (Lasie). Cette unité mixte de recherche entre l’Université de La Rochelle et le CNRS travaille aussi depuis longtemps avec le CSTB sur les matériaux sous contraintes environnementales. Notre doctorante Fatimata Syll a commencé son travail de thèse en 2023.

Sur quoi porte la thèse de Fatimata Syll ? 

Il s’agit de réaliser une campagne de mesures sur des matériaux de réemploi pour quantifier et qualifier les émissions. Au cours de cette première année de thèse, nous avons accompagné Fatimata Syll dans la sélection des matériaux et des polluants prioritaires. Sa thèse va ainsi se concentrer sur les matériaux les plus couramment utilisés (parquets, moquettes…), en écartant les plus inertes (verres, métaux…). De même, du point de vue des polluants, l’étude des composés organiques volatils (COV), qui sont cancérigènes, a été privilégiée. En fait, nous avons ciblé les substances prises en compte dans l’étiquetage des matériaux neufs pour faciliter les comparaisons. 

La liste est presque finalisée et nous avons déjà commencé certains essais. Nous avons pu nous appuyer sur notre plateforme interne, dédiée à la gestion des matériaux de réemploi, Urban Ressources, pour identifier et avoir accès à des gisements intéressants. Nous nous intéressons aussi aux émissions des systèmes de matériaux, aussi appelés systèmes multicouches, par exemple un plancher et une moquette, pour voir si l’un peu neutraliser en partie les émissions de l’autre, et si certains traitements sont à privilégier lors du reconditionnement des matériaux de réemploi. 

Qu’attendez-vous de ce travail ?

Nous avons hâte d’avoir les résultats pour pouvoir construire des modèles qui, à terme, aideront à étiqueter les matériaux de réemploi au même titre que les matériaux neufs. L’objectif est que Fatimata développe son propre modèle numérique pour pouvoir l’implanter ensuite dans l’outil existant du CSTB. Les matériaux de réemploi étant un élément stratégique, tant au niveau de l’économie des ressources que de la décarbonation de la construction, il faut lever les obstacles qui freinent leur utilisation.

Rédigé par Eric Robert, publié le 12 décembre 2023.