La Méthod’O : une méthode novatrice d’éco-planification du territoire

Confrontées aux effets du changement climatique, les collectivités ont aujourd’hui besoin d’appréhender et d’aménager leur territoire différemment, mais manquent de méthodes et d’outils adaptés pour opérer ce changement de paradigme. C’est pour combler cette lacune qu’Artelia a élaboré la Méthod’O, une méthode d’éco-planification du territoire qui vient d’être récompensée par le Grand Prix National de l’Ingénierie 2023.

Guillaume Barjot, l’un de ses inventeurs, nous la présente. 

Comment est née la Méthod’O, des efforts d’innovation d’Artelia ou en réponse aux besoins d’un projet particulier ?

Les deux. Il existe une abondante littérature, des accords internationaux, des règlementations sur la transition écologique, qui disent tous qu’il est impératif de changer de méthode, que les pratiques traditionnelles d’aménagement sont inadaptées, mais sans pour autant en proposer de nouvelles. Depuis quelque temps au sein d’Artelia, nous nous posions la question « comment faire autrement ? », en explorant différentes pistes. De son côté, la communauté urbaine du Grand Reims, fréquemment victime d’inondations, voulait, elle aussi, innover à l’occasion du renouvellement de son schéma directeur des eaux pluviales. La Méthod’O est née de cette rencontre.

Quel est son but ? En quoi cette méthode se distingue-t-elle des approches traditionnelles ?

Il s’agit de trouver des solutions durables d’adaptation au changement climatique en adoptant une approche écosystémique du territoire et en mettant en œuvre une démarche de co-construction avec l’ensemble des acteurs de ce territoire. Pour le Grand Reims par exemple, même si la finalité première était la réduction des inondations, nous n’avons pas uniquement travaillé avec le service de gestion des eaux pluviales, en modélisant des ruissellements, des débits, des hauteurs d’eau, comme c’est généralement le cas dans une approche classique. Nous avons élargi notre vision à l’ensemble de l’écosystème intervenant dans la gestion de l’eau et surtout, nous avons mobilisé tous les acteurs pour les aider à exprimer et hiérarchiser leurs priorités, à définir les indicateurs et les objectifs qui font sens pour eux.

Comment fonctionne-t-elle concrètement ?

La Méthod’O comporte deux volets : le processus et la boîte à outils. Le processus consiste à interroger les acteurs concernés par le sujet pour cerner les attentes et points de vue. Nous menons des interviews et nous organisons des ateliers qui sont aussi l’occasion d’acculturer ces interlocuteurs, par exemple sur les problématiques du changement climatique et les solutions contemporaines d’aménagement durable. Ensuite, nous analysons les réponses pour aboutir aux définitions et objectifs faisant consensus. Nous pouvons alors, en adoptant cette focale, construire des représentations du territoire qui correspondent à la vision des acteurs et les aident très concrètement à la prise de décision.

Quant à la boîte à outils, elle se compose à la fois de supports d’animation pour la co-construction et d’outils techniques de très haut niveau pour la gestion des données, leur modélisation et leur visualisation sous forme de cartes et de graphiques. Nous avons par exemple créé un jeu de cartes didactique et pédagogique pour que les interviewés puissent exprimer simplement leurs priorités. Il nous permet de disposer de données normalisées et exploitables. Il peut aussi être utilisé à des fins pédagogiques. Nous avons également développé un outil de modélisation très performant, nommé ORus, qui est dédié à la gestion des eaux pluviales à la source.

Comment s’est déroulé le processus pour le plan pluie du Grand Reims et à quoi a-t-il abouti ?

Nous avons posé la question « qu’est-ce que la gestion des eaux pluviales pour vous » à environ 200 acteurs : des élus, des membres des services techniques de la collectivité, des partenaires institutionnels comme les agences de l’eau, le parc naturel régional, la chambre d’agriculture, le syndicat professionnel des vins de Champagne, des associations de citoyens… Ce travail a permis de construire un consensus autour de cinq indicateurs écosystémiques qui reflètent les aspirations de la collectivité sur le sujet de la gestion des eaux pluviales :

  • la protection des personnes et des biens ;
  • la qualité des masses d’eau ;
  • l’aptitude à la biodiversité ;
  • le cadre de vie ;
  • l’empreinte foncière.

Ces indicateurs, notés de 0 à 5, servent désormais à guider l’action et à analyser la pertinence des aménagements projetés. Chaque année, le Grand Reims peut aussi calculer, à l’échelle de l’ensemble du territoire, si les solutions déployées ont permis d’améliorer ou non la situation.

Pour revenir aux outils, en quoi consiste le modèle ORus que vous évoquiez pour la gestion des eaux pluviales à la source ?

C’est ce que l’on appelle un « modèle hydrologique à score de susceptibilité ». Son élaboration a fait l’objet d’une thèse, que je dois soutenir en 2024, au sein de l’Université Grenoble Alpes avec le soutien d’Artelia et de l’Inrae (Institut de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Ce modèle indique à l’échelle du mètre carré, la susceptibilité intrinsèque du territoire, quelle que soit la pluie, à produire du ruissellement. Il s’intéresse en particulier à la perméabilité des sols et permet d’identifier les zones qui vont produire beaucoup d’eau, tout en calculant dans le même temps les accumulations de l’amont vers l’aval.

Ce modèle unique, à cette échelle géographique, a été utilisé avec succès pour enrailler les inondations récurrentes que subissait l’avenue Jean Jaurès à Reims. ORus a permis d’identifier les zones à problème et donc de cibler les actions sur elles, en proposant un panel de solutions de gestion à la source basées sur la nature (désimperméabiliser les sols, rétablir la couverture végétale…). Pour l’avenue Jean Jaurès, plutôt que de construire un réservoir souterrain sous une place très fréquentée de la ville, nous avons pu résoudre le problème en supprimant l’inondation à la source pour un coût 10 fois moins élevé.

Par cette approche écosystémique, soutenue par des connaissances et outils scientifiques et techniques de haut niveau, nous avons apporté des solutions durables là où les méthodes classiques étaient en échec.

Cette approche écosystémique doit nécessiter des compétences très variées. Comment avez-vous pu les mobiliser ?

C’est l’une des forces d’Artelia de disposer à l’intérieur du Groupe d’un très large panel d’expertises. Plus de 14 personnes ont été sollicitées dans le cadre de l’élaboration de la Méthod’O, dont Édouard Rousselle (ingénieur-urbaniste), le copilote du projet, Natassia Chylak (ingénieure en gestion territoriale), Aurélie Paillet (ingénieure en règlementation environnementale), Aurore Zeller (ingénieure agronome)… Cette diversité de profils a été essentielle pour créer la Méthod’O.

S’agit-il d’une méthode centrée sur les problématiques de ruissellement et d’inondation ou qui a vocation à devenir universelle ?

Nous mobilisons actuellement la Method’O et sa boîte à outils pour aider d’autres territoires sur des problématiques de ruissellement et d’inondation. ORus est par exemple en cours d’utilisation sur le territoire de l’Eurométropole de Metz. Il est exploité pour apporter des informations complémentaires sur l’intense ruissellement du bassin de la Sarre. Sa mise en œuvre est aussi envisagée pour analyser la vulnérabilité de territoires du nord de la France qui ont été durement éprouvés par les tempêtes de novembre 2023.

Dans le même temps, nous voulons faire de la Méthod’O un outil d’éco-planification applicable à d’autres sujets liés au changement climatique et à la préservation de la biodiversité. Nous étudions la possibilité de l’adapter aux problématiques de sécheresse et d’îlots de chaleur, Artelia soutient d’ailleurs une nouvelle thèse en ce sens.

Nous voulons également, avec cette approche écosystémique, cette démarche de co-construction et une boîte à outils élargie, aborder des sujets de désimperméabilisation des sols (zéro artificialisation nette), de création de trames bleues et vertes, d’aménagement du littoral, de susceptibilité aux incendies. Nous avons déjà commencé à mettre la Méthod’O et ORus au service de problématiques de désimperméabilisation pour les agglomérations d’Esterel Côte d’Azur et de Béziers. Et plusieurs autres projets sont à l’étude.

📹" La Méthod'O, vers un urbanisme de l'eau "

Retrouvez la présentation de Guillaume Barjot à l’occasion du Rendez-vous de la SFU (Société Française des Urbanistes) du 11 janvier 2024.

Rédigé par Eric Robert, publié le 13 décembre 2023.