Le renouveau de l’énergie nucléaire

La nécessité de décarboner le secteur de l’énergie, à laquelle se sont ajoutées les tensions géopolitiques sur les approvisionnements en gaz, ont convaincu plusieurs États de réinvestir dans l’énergie nucléaire.

Prolongation de la durée de vie du parc en exploitation, lancement de programmes de construction, développement de nouveaux concepts de réacteurs et élargissement des usages sont les points clés de cette relance du nucléaire, que Michel Rochon nous présente en tant que responsable du développement nucléaire chez Artelia.

Pouvez-vous nous dire en quels termes se positionne l’énergie nucléaire aujourd’hui ?

La nécessité de réduire les émissions de CO2 couplée à l’intensification de l’électrification des usages sont à l’origine de ce nouvel engouement pour l’énergie nucléaire. C’est un mode de production à très faible empreinte carbone, pilotable et qui délivre de grandes puissances, avec un bon facteur de charge, sur des sites relativement compacts. Ces atouts, mis en avant par la filière industrielle et la des scientifiques, sont repris par des responsables politiques qui reconnaissent dans l’énergie nucléaire un levier essentiel pour atteindre la neutralité carbone, tout en renforçant l’indépendance stratégique de leurs systèmes énergétiques.

Comment cela se traduit-il à l’échelle mondiale et européenne ?

À l’occasion de la COP28, l’Agence internationale de l’énergie nucléaire (AIEA) a déclaré qu’il fallait mobiliser toutes les sources d’énergie bas carbone disponibles et que « l’objectif de la neutralité carbone à l’échelle mondiale ne pourra être atteint d’ici à 2050 que par un investissement rapide, continu et considérable dans l’énergie nucléaire1 ». En plus de la production d’électricité, cette institution a évoqué la contribution possible du nucléaire à « la décarbonation du chauffage urbain, au dessalement, aux processus industriels et à la production d’hydrogène », en s’appuyant notamment sur « la mise en œuvre de technologies innovantes, dont les petits réacteurs modulaires », dits SMR (Small Modular Reactor). En insistant sur l’exigence fondamentale de sûreté, elle a également rappelé le besoin de maintenir en condition opérationnelle les centrales existantes. Une vingtaine de pays, dont les États-Unis, la France, le Japon et les Émirats arabes unis, ont appelé à tripler les capacités de production d’énergie nucléaire mondiales d’ici 2050.

À l’initiative de la France, une Alliance européenne du nucléaire réunit les pays qui souhaitent s’appuyer sur l’énergie nucléaire, aux côtés des renouvelables, pour mener à bien leur transition énergétique2. Elle estime que d’ici 2050 « l’énergie nucléaire pourrait fournir à l’Union européenne jusqu’à 150 GW d’électricité », contre environ 100 GW actuellement, « en prolongeant l’exploitation des centrales en activité, en construisant 30 à 45 nouveaux réacteurs et en développant de petits réacteurs modulaires3 ».

Quelle est la situation en France où le mix électrique repose à plus de 70 % sur l’énergie nucléaire ?

En s’appuyant historiquement sur l’énergie nucléaire, la France dispose de l’un des mix électriques les plus « bas carbone » au monde et d’une filière industrielle complète qui capitalise un fort savoir-faire. Au-delà du rôle moteur de la France dans la mobilisation européenne et internationale, le président de la République a annoncé, dès février 2022, un vaste plan de relance national de l’énergie nucléaire, comprenant trois axes majeurs : le maintien en condition opérationnelle du parc en exploitation, la préparation de l’allongement de la durée de vie des installations et un programme de nouveaux réacteurs nucléaires en anticipation des besoins de renouvellement du parc et de l’accroissement de la consommation d’électricité. En 2023, la construction d’une première tranche de 6 réacteurs EPR2 a été décidée, sur un total de 14 envisagés, et des financements complémentaires ont été accordés dans le cadre du plan France 2030 sur différents sujets, dont le développement des SMR et la diversification des usages.

Quel est le rôle de l’ingénierie dans ce renouveau de l’électronucléaire ?

Il est fondamental, car les installations nucléaires sont des systèmes complexes pour lesquels l’exigence de sûreté est une priorité absolue. L’ingénierie est omniprésente et fortement sollicitée pendant tout le cycle de vie des installations : conception, exploitation, déconstruction.

En phase de conception, la performance de l’ingénierie est stratégique au regard des investissements engagés et de l’enjeu lié au respect des plannings. Elle prend en compte les évolutions des équipements et des règles applicables, en intégrant des technologies éprouvées dans d’autres domaines industriels. En phase de production, l’enjeu de l’ingénierie est de sécuriser un niveau de disponibilité élevé du parc en exploitation et de préparer les visites périodiques tout en maintenant, voire en améliorant, le niveau de sûreté. Ce haut niveau d’exigences, maintenu pendant toute la phase d’exploitation, contribue à la validation de l’extension de la durée d’exploitation au-delà de celle initialement prévue. Quant au démantèlement, c’est un domaine où l’ingénierie doit relever de nombreux défis, en concevant des outillages spéciaux et en mettant au point des procédés de déconstruction et de recyclage de matériaux.

L’ingénierie est également fortement sollicitée dans le cadre du développement des SMR pour adapter les conceptions et les méthodes de construction à de nouvelles exigences : compacité, modularité, fabrication en série, transport, compétitivité. Elle est aussi partie prenante de la filière du combustible tant en amont du cycle (extraction, enrichissement) qu’à l’aval (retraitement, stockage et entreposage).

Comment se positionne Artelia vis-à-vis de l’énergie nucléaire ?

Nous sommes fortement engagés dans la décarbonation, à la fois par les solutions que nous déployons pour nos clients dans tous les secteurs d’activité et par nos propres engagements d’entreprise responsable (via une politique RSE évaluée EcoVadis Platinum). Considérant l’énergie nucléaire comme l’un des leviers majeurs pour évoluer vers un système énergétique bas carbone, Artelia en a fait l’un de ses axes stratégiques de développement.

Dans le secteur du nucléaire, le Groupe bénéficie de près de 40 ans d’expériences, acquises historiquement par ses équipes et filiales. Artelia est présent aujourd’hui dans chaque branche du secteur : Défense, Combustible, Énergie, Recherche. Nous sommes positionnés en soutien des exploitants (INB et INBS) et des développeurs de SMR pour lesquels nous déployons une offre mixte :

  • études mono ou multi-métiers de type Workpackages (engagement principalement forfaitaire) ;
  • maitrise d’œuvre TCE (conception, DCE, supervision de construction, mise en service) ;
  • conception-réalisation ou clés en main via des alliances de type groupement ou sous-traitance avec des partenaires.

Pouvez-vous évoquer certains projets dans lesquels le Groupe est engagé ?

Nous participons à de nombreux projets du secteur parmi lesquels : l’EPR Hinkley Point C (Royaume-Uni), le programme EPR 2 en France, les SMR Nuward, les visites décennales du parc en exploitation (VD4-900, VD4-1300), le démantèlement des installations Phénix, la création ou la modification de centres de recherches (RJH, RHF, ITER…) et la requalification au séisme d’engins et d’équipements. Nous concevons des bâtiments, des piscines nucléaires, des cellules chaudes, des boucles d’essais, des portes spéciales, des moyens de manutention… D’une manière générale, nous apportons notre expertise aux exploitants dans de multiples domaines comme le confinement liquide et le traitement de l’eau, les études hydrauliques, thermiques, thermohydrauliques…

Comment Artelia entend-il participer à cette relance de l’énergie nucléaire ?

La relance du nucléaire est un défi industriel de grande ampleur pour l’ensemble de la filière et Artelia s’y engage pleinement. Nous apportons notre expérience d’ingénierie multidisciplinaire et notre capacité d’intervention, notamment dans le cadre du programme MATCH initié par le Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (Gifen). Nous mobilisons plus de 200 collaborateurs expérimentés et des processus opérationnels dédiés au nucléaire. Nous mettons également au service de la filière toute la richesse et la diversité de compétences et de moyens d’un groupe comptant plus de 8 000 personnes. Via Artelia Academy, une entité interne dédiée au développement des parcours professionnels, nous avons déployé un « parcours nucléaire » pour étendre les compétences des collaborateurs d’autres secteurs aux spécificités du nucléaire et pour sensibiliser les équipes à la sûreté nucléaire jusqu’au plus haut niveau de l’organisation. Nous activons également notre réseau de proximité en France (60 agences) et nos implantations internationales (40 pays) pour accompagner les projets de la filière nucléaire française en Europe et au-delà.

Rédigé par Eric Robert, publié le 16 janvier 2024.