Souveraineté sanitaire
et production de médicaments

En 2020, la pandémie de Covid-19 a mis en évidence la forte dépendance des nations européennes aux importations de médicaments et de principes actifs pharmaceutiques indispensables à leur fabrication. La question de la souveraineté sanitaire a ainsi été reposée au niveau de l’Union européenne et des pays membres qui ont exprimé leur volonté de sécuriser leurs approvisionnements, notamment en relocalisant et en augmentant la production industrielle sur leurs sols. David Papillon, qui pilote pour Artelia la conception de l’usine de paracétamol de Seqens à Roussillon, nous livre un retour d’expérience sur ce mouvement en France.

 

Quel est le niveau de dépendance des États européens envers les médicaments importés d’autres pays ?

Les autorités estiment que 40 % des médicaments commercialisés dans les États européens proviennent actuellement de pays tiers. La tendance est encore plus marquée pour les principes actifs pharmaceutiques (PAP), aussi appelés ingrédients pharmaceutiques actifs (API), puisque 60 % à 80 % d’entre eux sont aujourd’hui produits en Chine et en Inde.

Le cas du paracétamol, sur lequel je travaille actuellement, est très représentatif, voire caricatural. Il s’agit d’une substance essentielle, largement utilisée en tant qu’analgésique, mais c’est aussi un produit ancien, banalisé, dont le prix de vente est assez bas. Sa fabrication a donc migré de l’Europe vers les pays à bas coûts de production. En 2019, l’Europe dépendait ainsi presque à 100 % de pays tiers pour son approvisionnement en paracétamol. Environ 40 % étaient fournis par la Chine, 30 % par l’Inde et 30 % par les États-Unis. Et lors du pic de la pandémie en mars-avril 2020, ces pays n’ont fourni que la moitié de la demande européenne2, ce qui a vraiment mis en évidence notre dépendance.

 

Quelles politiques ont été initiées pour réduire cette dépendance ?

Différentes stratégies et propositions ont été énoncées pour améliorer la souveraineté sanitaire, tant au niveau de l’Union européenne que de l’État français. L’objectif exprimé par l’UE est de garantir un accès aux médicaments à des prix abordables, tout en favorisant le développement de nouveaux produits. Le gouvernement français mise lui aussi à la fois sur la recherche et l’innovation thérapeutique et sur le renforcement des capacités industrielles du pays qui ont sensiblement reculé ces dernières années. Le plan France Relance et le plan Innovation Santé 2030 vont dans ce sens. Cette volonté a été réaffirmée au cours de l’été 2023, des financements publics étant accordés pour soutenir la relocalisation ou le développement des productions de médicaments dans le pays.

 

Quel est l’engagement d’Artelia dans ce redéploiement industriel ?

Depuis 2020, nous avons accentué notre effort dans ce secteur. Les industriels de la filière pharmaceutique sont très demandeurs de sociétés d’ingénieries capables de répondre à leurs besoins, car ils ont des exigences spécifiques en matière de qualification d’installations qui sont liées aux enjeux sanitaires des fabrications. Dans un projet d’installation pharmaceutique, tout doit être qualifié, les équipements de production, les systèmes informatiques, le bâtiment lui-même… Chaque composante doit être contrôlée et validée pour s’assurer que tout ce qui est fourni et installé respecte scrupuleusement les spécifications du processus de fabrication. Cette qualification commence dès la phase de conception, avec des vérifications d’équipements chez les fournisseurs, et se poursuit sur site à chaque étape de mise en œuvre de l’installation jusqu’au test final de production.

Artelia dispose de spécialistes de la qualification et d’une solide expérience industrielle dans tous les éléments clés de ce type d’installation (ventilation-HVAC, salles blanches, qualité de l’eau…). Plus largement, nous avons une longue pratique du revamping d’installations industrielles et nous sommes une ingénierie de premier plan dans le bâtiment y compris sa composante industrielle.

 

Sur quels types de projets de développement intervenez-vous en France ?

Les installations industrielles évoluant en permanence, nous travaillons régulièrement sur des projets de modernisation et d’extension d’installations pour différents acteurs de la filière comme Novasep, Ipsen, Aspen, Croda Pharma, GSK… Nous avons également des équipes spécialisées dans les installations de recherche et développement qui participent à des projets de laboratoires, notamment dans le secteur de la santé.

Actuellement, nous intervenons sur deux opérations très représentatives du réinvestissement industriel dans la filière pharmaceutique et en particulier dans la production de principes actifs en France. Sur le site de Baclair (région Normandie), pour Oril Industrie, nous participons aux études et à la maîtrise d’œuvre d’un nouvel atelier dédié à la production de Flavonoïdes 90 %, le principe actif du Daflon®. Et à Roussillon (région Rhône-Alpes-Auvergne), nous accompagnons donc Seqens dans la construction d’une nouvelle unité de production de paracétamol, un projet de grande envergure qui s’inscrit pleinement dans les efforts de relocalisation.

 

En quoi le projet Seqens est-il emblématique du mouvement de relocalisation en faveur de la souveraineté sanitaire ?

Tout d’abord par son ampleur et les enjeux associés. Cette usine aura une capacité de production de 15 000 t par an, c’est-à-dire de quoi couvrir environ 50 % des besoins européens en paracétamol ! Ensuite, elle illustre bien les conditions nécessaires à ce type de réimplantation en France, à la fois d’un point de vue technique, environnemental et financier.

Cette usine est implantée sur une plateforme chimique existante et peut donc bénéficier des utilités, installations logistiques, laboratoires et autres facilités du site (eau, vapeur, énergie…). Sur le plan de l’ingénierie, c’est une opération complexe, car il faut l’installer dans un espace contraint, en réutilisant en partie des bâtiments existants. Il faut monter à 40 m de hauteur pour l’édifice de production en raison du procédé gravitaire. Il faut aussi gérer près de 250 équipements principaux, avec leur qualification, environ 13 km de tuyauteries et 1 500 capteurs pour le pilotage de l’installation.

Sur le plan environnemental, Seqens va mettre en œuvre un procédé de fabrication vraiment innovant. Par rapport à une installation classique, l’entreprise annonce une baisse de 75 % des émissions de CO2, une réduction de près de 65 % des consommations énergétiques et de 50 % des effluents solides. Quant aux effluents aqueux, ils seront intégralement récupérés, purifiés et réinjectés dans le processus. Sur le plan financier aussi, le montage est instructif, croisant soutien de l’État (via le plan France Relance) et participation des laboratoires UPSA et Sanofi.

Le nom du projet, Phoenix 15, est très symbolique, car il existait sur le site de Roussillon une production de paracétamol opérée par Rhodia qui a été arrêtée en 2008. Comme la créature légendaire, l’usine renaît ainsi de ses cendres avec une nouvelle jeunesse.

 

Comment Artelia envisage-t-il sa participation future aux projets de la filière ?

Nous continuons à faire progresser nos capacités d’intervention pour répondre aux besoins de la filière pharmaceutique. En France, nous renforçons nos équipes sur les principaux pôles industriels pharmaceutiques du pays. En Europe, le Groupe vient d’acquérir la société danoise LBP Engineering, réputée pour son expertise en industrie pharmaceutique et biotechnologie.

Rédigé par Eric Robert, publié le 16 janvier 2024.